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LA PUCELLE D’ORLÉANS

Paris. Dunois les menaçait d’ailleurs de tuer aussi leurs hérauts qu’il avait entre les mains. Pour la Pucelle, elle ne craignait rien pour son héraut ; elle en envoya un autre, en disant : « Vas dire à Talbot que s’il s’arme, je m’armerai aussi… S’il peut me prendre, qu’il me fasse brûler. »

L’armée ne venant point, Dunois se hasarda à sortir pour l’aller chercher. La Pucelle, restée à Orléans, ce trouva vraiment maîtresse de la ville, comme si toute autorité eût cessé. Elle chevaucha autour des murs, et le peuple la suivit sans crainte[1]. Le jour d’après, elle alla visiter de près les bastilles anglaises ; toute la foule, hommes, femmes et enfants, allaient aussi regarder ces fameuses bastilles, où rien ne remuait. Elle ramena la foule après elle à Sainte-Croix pour l’heure des vêpres. Elle pleurait aux offices[2], et tout le monde pleurait. Le peuple était hors de lui ; il n’avait peur de rien ; il était ivre de religion et de guerre, dans un de ces formidables accès de fanatisme où les hommes peuvent tout faire et tout croire, où ils ne sont guère moins terribles aux amis qu’aux ennemis.

Le chancelier de Charles VII, l’archevêque de Reims, avait retenu la petite armée à Blois. Le vieux politique était loin de se douter de cette toute-puissance de l’enthousiasme, ou peut-être il la redoutait. Il vint donc bien malgré lui. La Pucelle alla au-devant,

  1. « Après laquelle couroit le peuple à très grand’foulle, prenant moult grand plaisir à la veoir et estre entour d’elle. Et quand elle eust veu et regardé à son plaisir les fortifications des Anglois… » (L’Histoire et Discours au vray du siège.)
  2. Déposition de Compaing, chanoine d’Orléans.