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HISTOIRE DE FRANCE

larmes, comme si elle eût déjà vu sa destinée tout entière.

Le prud’homme n’était pas moins que saint Michel, le sévère archange des jugements et des batailles. Il revint encore, lui rendit courage, « et lui raconta la pitié qui estoit au royaume de France[1] ». Puis vinrent les blanches figures de saintes, parmi d’innombrables lumières, la tête parée de riches couronnes, la voix douce et attendrissante, à en pleurer. Mais Jeanne pleurait surtout quand les saintes et les anges la quittaient. « J’aurais bien voulu, dit-elle, que les anges m’eussent emportée[2]… »

Si elle pleurait, dans un si grand bonheur, ce n’était pas sans raison. Quelque belles et glorieuses que fussent ces visions, sa vie dès lors avait changé. Elle qui n’avait entendu jusque-là qu’une voix, celle de sa mère, dont la sienne était l’écho, elle entendait maintenant la puissante voix des anges !… Et que voulait la voix céleste ? Qu’elle délaissât cette mère, cette douce maison. Elle qu’un seul mot déconcertait[3], il lui fallait aller parmi les hommes, parler aux hommes, aux soldats. Il fallait qu’elle quittât pour le monde, pour la guerre, ce petit jardin sous l’ombre de l’église, où elle n’entendait que les cloches[4] et où les oiseaux mangeaient dans sa main. Car tel était l’attrait de douceur qui entourait la jeune sainte : les

  1. Procès, interrogatoire du 15 mars.
  2. Ibid., 27 février.
  3. « Sæpe habebat verecundiam, etc. » (Déposition de Haumette.)
  4. Elle avait une sorte de passion pour le son des cloches : « Promiserat dare lanas… ut diligentiam haberet pulsandi. » (Déposition de Périn.)