Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
HISTOIRE DE FRANCE

Cette Marche de Lorraine et de Champagne avait en tout temps cruellement souffert de la guerre ; longue guerre entre l’Est et l’Ouest, entre le roi et le duc, pour la possession de Neufchâteau et des places voisines ; puis guerre du Nord au Sud, entre les Bourguignons et les Armagnacs. Le souvenir de ces guerres sans pitié n’a pu s’effacer jamais. On montrait naguère encore, près de Neufchâteau, un arbre antique au nom sinistre, dont les branches avaient sans doute porté bien des fruits humains : Le chêne des partisans.

Les pauvres gens des Marches avaient l’honneur d’être sujets directs du roi, c’est-à-dire qu’au fond ils n’étaient à personne, n’étaient appuyés ni ménagés de personne, qu’ils n’avaient de seigneur, de protecteur que Dieu. Les populations sont sérieuses dans une telle situation ; elles savent qu’elles n’ont à compter sur rien, ni sur les biens ni sur la vie. Elles labourent et le soldat moissonne. Nulle part le laboureur ne s’inquiète davantage des affaires du pays ; personne n’y a plus d’intérêt ; il en sent si rudement les moindres contre-coups ! Il s’informe, il tâche de savoir, de prévoir ; du reste, il est résigné, quoi qu’il arrive ; il s’attend à tout, il est patient et brave. Les femmes même le deviennent ; il faut bien qu’elles le soient, parmi tous ces soldats, sinon pour leur vie, au moins pour leur honneur, comme la belle et robuste Dorothée de Gœthe.

Jeanne était la troisième fille d’un laboureur[1],

  1. App. 21.