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HISTOIRE DE FRANCE

sacre de 1418, il avait reçu de Jean-sans-Peur l’épée de connétable. En 1419, nous le voyons subitement changé, ennemi des Bourguignons, tout Français.

Pour comprendre ce miracle, il faut savoir que dans cette éternelle bataille qui fut la vie de la Lorraine au moyen âge, les deux maisons rivales, Lorraine et Bar, s’étaient usées à force de combattre. Il restait deux vieillards, le duc de Bar, vieux cardinal, et le duc de Lorraine, qui n’avait qu’une fille[1]. Le cardinal assura son duché à son neveu René, et, pour réunir tout le pays, demanda pour René l’héritière de Lorraine au nom de Dieu et de la paix. Le duc, gouverné alors par une maîtresse française[2], consentit à donner sa fille et ses États à un prince français de cette maison de Bar, si longtemps ennemie de la sienne.

Les Anglais y avaient aidé en faisant au duc de Lorraine le plus sensible outrage. Henri V lui avait


    jours les marches de Champagne. En 1408, Charles-le-Hardi avait fait un testament pour exclure tout Français de sa succession. En 1412, irrité d’un arrêt que le Parlement osa prononcer contre lui, il traîna les panonceaux du roi à la queue de son cheval. App. 12.

  1. Ces princes de Lorraine et de Bar, presque toujours en guerre avec la France, ne perdent pas toutefois une seule occasion de se faire tuer pour elle ; dès qu’il y a une grande bataille, ils accourent dans nos rangs. Leur histoire est uniformément héroïque : tués à Créci, tués à Nicopolis, tués à Azincourt, etc.
  2. Peut-être cette maîtresse qui vint à point pour les intérêts de la maison d’Anjou et de Bar fut-elle donnée au duc par la très peu scrupuleuse Yolande, comme elle donna Agnès Sorel à son gendre Charles VII (une rivale à sa propre fille !…) Elle éveilla le jeune roi par les conseils d’Agnès, et probablement elle endormit le vieux duc de Lorraine par ceux de l’adroite Alizon. Alizon du May était de naissance « fort honteuse », dit Calmet ; mais, en revanche, elle était belle, spirituelle, de plus très féconde ; en quelques années elle donna cinq enfants à son vieil amant. Aussi, selon la chronique, « elle gouvernoit le duc tout à sa volonté ». (Chronique de Lorraine.)