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CHARLES VII. — PHILIPPE-LE-BON

son adversaire avançait trop sur lui, à le tirer en arrière et l’obliger de tourner la tête.

C’était la force et la faiblesse du duc de Bourgogne d’avoir ces grosses villes, ces populations si nombreuses, si riches, mais si agitées. Dans cette mort du quinzième siècle, lui, il gouvernait des vivants. Quoi de plus beau que la vie, mais quoi de plus inquiet, de plus difficile à régler ? Une vie puissante bouillonnait dans les Flandres.

Que ce pays ait contenu tant de germes de troubles, on peut s’en étonner. La Flandre, c’est le travail ; le travail n’est-ce pas la paix ?… Le laborieux tisserand de Flandre semble au premier coup d’œil le frère des humiliati lombards, l’imitateur des pieux ouvriers de saint Antoine et de saint Pacôme, de ces bénédictins auxquels saint Benoît dit : « Être moine, c’est travailler[1]. » Quoi de plus saint et de plus pacifique ?… Ce tisserand paraît presque plus moine que le moine ; seul, dans l’obscurité de l’étroite rue, de la cave profonde, créature dépendante des causes inconnues qui allongent le travail, diminuent le salaire, il se remet de tout à Dieu. Sa foi, c’est que l’homme ne peut rien par lui-même, sinon aimer et croire. On appelait ces ouvriers beghards (ceux qui prient) ou lollards[2], d’après leurs pieuses complaintes, leurs chants monotones, comme d’une femme qui berce un enfant[3].

  1. « Tunc vere monachi sunt, si labore manuum suarum vivunt. » (S. Benedicti regula.)
  2. App. 127.
  3. En anglais, to lull, bercer ; en suédois, lulla, endormir ; en vieil alle-