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RÉFORME ET PACIFICATION DE LA FRANCE

milieu[1], c’est-à-dire d’une main sûre : c’est le secret de leurs victoires.

Depuis ces belles batailles, ce fut pour eux une ferme foi que le Suisse en corps de canton, poussant devant lui la hallebarde, se lançant les yeux fermés, comme le taureau cornes basses, était plus fort que le cheval, et ne pouvait manquer de jeter bas le cavalier bardé de fer. Ils avaient raison de le croire ; mais dans leur orgueil stupide ils attribuaient volontiers ces grands effets d’ensemble à la force individuelle. Ils faisaient là-dessus des contes que tout le monde répétait. Les Suisses, à les entendre, avaient tant de vie et de sang que, mortellement blessés, ils combattaient longtemps encore. Ils buvaient comme ils combattaient ; en cela, ils étaient de même invincibles. Dans maintes guerres d’Italie, on avait sur leur passage pris soin d’empoisonner les vins ; peine perdue, tout passait, vin et poison, les Suisses ne s’en portaient que mieux[2].

Ce brutal orgueil de la force eut son résultat naturel ; ils se gâtèrent de très bonne heure. Il ne faut pas tout croire, à beaucoup près, dans ce qu’on se plaît à dire de la pureté de ces temps. À la fin du quinzième siècle, le saint homme Nicolas de Flue pleurait dans son ermitage sur la corruption de la Suisse. Au milieu du même siècle, nous voyons leurs soldats mener avec eux des bandes de femmes et de filles[3]. Tout au moins leurs armées traînaient beaucoup de bagages, d’em-

  1. Tandis que généralement on tenait la lance par le bout.(Tillier.)
  2. App. 93.
  3. Il en périt tout un bateau en 1476, dans l’expédition de Strasbourg.