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CHARLES VII. — HENRI VI

cette vaine dispute : l’Imitation fut donnée au peuple qui ne pouvait plus se passer de l’Imitation. Ce livre, utile ailleurs sans doute, était ici une suprême nécessité. Nulle nation n’était descendue plus avant dans la mort, nulle n’avait besoin davantage de fouiller au fond de l’âme la source de vie qui y est cachée. Nulle ne pouvait mieux entendre le premier mot du livre : « Le royaume de Dieu est en vous, dit Notre-Seigneur Jésus-Christ. Rentre donc de tout ton cœur en toi-même, et laisse ce méchant monde. Tu n’as point ici de demeure permanente, où que tu sois. Tu es étranger et pèlerin ; tu n’auras repos en nul lieu, sinon au cœur, quand tu seras vraiment joint à Dieu. Que regardes-tu donc çà et là pour trouver repos ? Soit ton habitation aux cieux par l’amour, et point ne regarde les choses de ce monde qu’en passant, car elles passent et viennent à néant, et toi aussi comme elles[1]… »

Ce langage de mélancolie sublime et de profonde solitude, à qui s’adressait-il mieux qu’au peuple, au pays où il n’y avait plus que ruines ? L’application semblait directe. Dieu semblait parler à la France et lui dire, comme il dit au mort : « Dès l’éternité, je t’ai connu par ton nom ; tu as trouvé grâce, je te donnerai le repos[2]. »

Il ne fallait pas moins que cette bonté pour ranimer des cœurs si près du désespoir. L’Église universelle avait défailli, l’Église nationale avait péri ; de plus (terrible tentation de blasphème !) une Église étrangère était entrée, par la conquête et le meurtre, en

  1. Internelle Consolation.
  2. « Te ipsum novi ex nomine… »