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HISTOIRE DE FRANCE

ô Vérité éternelle, afin que je ne meure point[1]. »

Ce qui fait la force de ce livre, c’est qu’avec cette noble liberté chrétienne, il n’y a nul esprit polémique, à peine quelques allusions aux malheurs du temps. Le pieux auteur reste dans un silence plein de respect en présence des infirmités de sa vieille mère l’Église[2]

Que l’Imitation soit ou non un livre français[3], c’est en France qu’elle eut son action. Cela est visible, non seulement par le grand nombre des versions françaises (plus de soixante !), mais surtout parce que la version principale est française, version éloquente et originale qui fit du livre monastique un livre populaire.

Au reste, il y a une raison plus haute et qui finit

  1. Ces hardiesses auront paru plus dangereuses dans la langue vulgaire. Voilà sans doute pourquoi presque tous les mss. de la Consolation ont disparu. Elle a été imprimée avant 1500 sans date, puis coup sur coup (peut-être sous l’influence luthérienne), en 1522, 1525, 1527, 1533, 1542. Les calvinistes, qui multipliaient tant les livres en langue vulgaire, ne se soucièrent pas de celui-ci, parce qu’apparemment ils n’y trouvaient rien d’assez dur sur la prédestination. D’autre part, le clergé catholique, croyant sentir dans ce livre populaire du quinzième siècle une sorte d’avant-goût du protestantisme, l’a ôté peu à peu aux pauvres religieuses dont il avait dû être la douce nourriture. On leur a retranché ainsi ce qui faisait pour elles le charme de la religion au moyen âge, d’abord les drames sacrés, puis les livres. Ce jeûne intellectuel a toujours augmenté, avec les défiances de l’Église. — Il est impossible de ne pas être touché, en lisant sur ce livre de femmes (éd. 1520, exemplaire de la Bibl. Mazarine) les notes et les prières qu’y ont écrites les religieuses auxquelles il a appartenu et qui se le transmettaient comme leur unique trésor.
  2. « Senescenti ac propemodum effœtæ matri Ecclesiæ. » (Tauler, d’après sainte Hildegarde).
  3. C’est un livre chrétien, universel, et non point national. S’il pouvait être national, il serait plutôt français. Il n’a ni l’élan pétrarchesque des mystiques italiens, encore moins les fleurs bizarres des Allemands, leur profondeur sous formes puériles, leur dangereuse mollesse de cœur. Dans l’Imitation, il y a plus de sentiments que d’images ; cela est français. En littérature, les Français dessinent plus qu’ils ne peignent, ou, si l’on veut, ils peignent en grisaille. Je lis dans Clémengis : « Non ineleganter quidam dixit : Cotor est vitare colorem. » App. 8.