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DISCORDES DE L’ANGLETERRE. — ÉTAT DE LA FRANCE

tuerie d’un million d’hommes, ils avaient tué deux ou trois siècles, annulé la longue période où nous avions péniblement bâti cette monarchie.

La barbarie reparaissait, moins ce qu’elle eut de bon, la simplicité et la foi. La féodalité revenait, mais non ses dévouements, ses fidélités, sa chevalerie. Ces revenants féodaux apparaissaient comme des damnés qui rapportaient de là-bas des crimes inconnus.

Les Anglais avaient beau se retirer, la France continuait de s’exterminer elle-même. Les provinces du Nord devenaient un désert, les landes gagnaient ; au centre, nous l’avons vu, la Beauce se couvrait de broussailles ; deux armées s’y cherchèrent et se trouvèrent à peine. Les villes, où tout le peuple des campagnes venait chercher asile, dévoraient cette foule misérable et n’en restaient pas moins désolées. Nombre de maisons étaient vides, on ne voyait que portes closes qui ne s’ouvraient plus[1], les pauvres tiraient de ces maisons tout ce qu’ils pouvaient pour se chauffer[2]. La ville se brûlait elle-même. Jugeons des autres villes par celle-ci, la plus populeuse, celle où le gouvernement avait siégé, où résidaient les grands corps, l’Université, le Parlement. La misère et la faim en avaient fait un foyer de dégoûtantes maladies

  1. Les gens du roi s’informaient curieusement de ces maisons abandonnées, des morts, des testaments, des héritiers, afin d’en tirer quelque chose : « Ils alloient parmy Paris, et quant ils véoient huys fermés, ils demandoient aux voisins d’entour : « Pourquoi sont ces huys fermés ? — Ha ! sire, respondoient-ils, les gens en sont trespassés. — Et n’ont-ils nuls hoirs qui y fussent demoures. — Ha ! sire ils demourent ailleurs, etc. » (Journal du Bourgeois.)
  2. « Défense d’abattre et de brûler les maisons désertes. » (Ordonnances, XIII, 31 janvier 1432.)