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CHARLES VII. — HENRI VI

la naïveté et déjà l’élégance. Naïveté, netteté à la Froissart, mais avec un mouvement tout autrement vif et bref[1], comme d’une âme bien émue… Ajoutez que dans certains passages du français on sent une délicatesse de cœur dont l’original ne se doute pas[2].

Quelle dut être l’émotion du peuple, des femmes, des malheureux (les malheureux alors, c’était tout le monde), lorsque pour la première fois ils entendirent la parole divine, non plus dans la langue des morts, mais comme parole vivante, non comme formule cérémonielle, mais comme la voix vive du cœur, leur propre voix, la manifestation merveilleuse de leur secrète pensée… Cela seul était déjà une résurrection. L’humanité releva la tête, elle aima, elle voulut vivre : « Je ne mourrai point, je vivrai, je verrai encore les œuvres de Dieu ! »

« Mon loyal ami et époux[3], ami si doux et débon-

  1. App. 5.
  2. Je n’en citerai qu’un exemple, mais bien remarquable : « Si tu as un bon ami et profitable à toy, tu le dois voulentiers laisser pour l’amour de Dieu, et estre séparé de luy. Et ne te trouble pas ou courouce, s’il te laisse, comme par obéissance ou autre cause raisonnable. Car tu dois sçavoir qu’il nous fault finablement en ce monde estre séparé l’un de l’autre, au moins par la mort, jusques à ce qu’en cette belle cité de paradis serons venus, de laquelle nous ne partirons jamais l’un d’avec l’autre. » (Consolacion, livre I, c. 9). — « Ita et tu aliquem necessarium et dilectum amicum, pro amore Dei disce relinquere. Nec graviter feras, quum ab amico derelictus fueris, sciens quoniam oportet nos omnes tandem ab invicem separari. » Imitatio, lib. II, c. 9.) — Le français ne dit pas : « Disce relinquere » mais : « Ne te trouble pas ou courouce, s’il te laisse. » Il ajoute un mot touchant : « S’il te laisse comme par obéissance… » (Il y a là toute une élégie de couvent ; les amitiés les plus honnêtes y étaient des crimes.) Enfin, avec une bonté charmante : « Cette belle cité de paradis… de laquelle nous ne partirons jamais l’un d’avec l’autre. »
  3. Le latin est loin de cette noble confiance. Il a peur d’allumer l’imagination