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DISCORDES DE L’ANGLETERRE. — ÉTAT DE LA FRANCE


rien… Rien de l’homme, encore moins du roi, une ombre à peine, quelque chose de passif et d’inoffensif, une âme prête pour l’autre monde… Un tel roi fit l’humiliation, la rage des Anglais ; ils trouvèrent que le saint n’était bon qu’à faire un martyr ; les durs raisonneurs n’ont jamais senti ce qu’il y a de Dieu en l’innocent, tout au moins de touchant dans le simple d’esprit.

Le martyre commença par le couronnement, par la riche moisson de malédictions qu’on lui fit recueillir dans les deux royaumes. Après avoir attendu neuf mois à Calais que les routes fussent moins dangereuses [1], il fut enfin amené à Paris, en décembre, au cœur de l’hiver. C’était le temps des grandes souffrances du peuple ; la cherté des vivres était extrême ; la misère et la dépopulation telles que le régent fut obligé de défendre de brûler les maisons abandonnées.

Ce prétendu sacre du roi de France fut tout anglais. D’abord, point de Français dans le cortège, sauf Cauchon et quelques évèques qui suivaient le cardinal Winchester. Nul prince du sang de France, sinon en comédie[2], un faux duc de Bourgogne, un faux comte de Nevers. La grand’mère ne paraît pas avoir été invitée ; on lui laissa à peine entrevoir son petit-fils dans une solennelle et cérémonieuse visite. Il semblait

  1. Un laird écossais qui avait osé passer avant le roi, fut si content de lui-même qu’il entra, avec trompes, clairons et quatre bardes ou ménestrels, qui marchaient devant lui en chantant leurs chants sauvages, comme s’il fût entré par la brèche. (Journal du Bourgeois.)
  2. « Et estoient vestus par personnages des cottes d’armes des dessus dits seigneurs. » (Monstrelet.)