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HISTOIRE DE FRANCE

pesante, mais combien l’est-elle davantage sous une loi religieuse qui ordonne d’endurer l’outrage, qui ne permet point que l’honneur en péril puisse échapper en jetant là le corps et se réfugiant dans le monde des esprits !

Le vendredi et le samedi, l’infortunée prisonnière, dépouillée de l’habit d’homme, avait bien à craindre. La nature brutale, la haine furieuse, la vengeance, tout devait pousser les lâches à la dégrader avant qu’elle ne pérît, à souiller ce qu’ils allaient brûler… Ils pouvaient d’ailleurs être tentés de couvrir leur infamie d’une raison d’État selon les idées du temps ; en lui ravissant sa virginité, on devait sans doute détruire cette puissance occulte dont les Anglais avaient si grand’peur ; ils reprendraient courage peut-être, s’ils savaient qu’après tout ce n’était vraiment qu’une femme. Au dire de son confesseur, à qui elle le révéla, un Anglais, non un soldat mais un gentleman, un lord se serait patriotiquement dévoué à cette exécution ; il eût bravement entrepris de violer une fille enchaînée, et n’y parvenant pas, il l’aurait chargée de coups[1].

« Quand vint le dimanche matin, jour de la Trinité, et qu’elle dut se lever (comme elle l’a rapporté à celui

  1. « La simple Pucelle lui révéla que… on l’avoit tourmentée violentement en la prison, molestée, bastue et déchoullée, et qu’un millourt d’Angleterre l’avoit forcée. » (Ms. Soubise.) — Néanmoins, le même témoin dit dans sa seconde déposition, rédigée en latin : « Eam temptavit vi opprimere. » (Lebrun.) — Ce qui l’ait croire que l’attentat ne fut pas consommé, c’est que, dans ses dernières lamentations, la Pucelle s’écriait : « Qu’il faille que mon corps, net en entier, qui ne fut jamais corrompu, soit consumé et rendu en cendres. » (Notices des mss.)