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HISTOIRE DE FRANCE

un étrange auditeur, le bourreau sur la charrette, tout prêt à l’emmener, dès qu’elle lui serait adjugée[1].

Le prédicateur du jour, un fameux docteur, Guillaume Érard, crut devoir dans une si belle occasion lâcher la bride à son éloquence, et par zèle il gâta tout, ce noble maison de France, criait-il, qui toujours avais été protectrice de la foi, as-tu été ainsi abusée, de t’attacher à une hérétique et schismatique… » Jusque-là l’accusée écoutait patiemment ; mais le prédicateur, se tournant vers elle, lui dit en levant le doigt : « C’est à toi, Jehanne, que je parle, et je te dis que ton roi est hérétique et schismatique. » À ces mots, l’admirable fille, oubliant tout son danger, s’écria : « Par ma foi, sire, révérence gardée, j’ose bien vous dire et jurer, sur peine de ma vie, que c’est le plus noble chrétien de tous les chrétiens, celui qui aime le mieux la foi et l’Église, il n’est point tel que vous le dites. — Faites-la taire », s’écria Cauchon.

Ainsi tant d’efforts, de travaux, de dépenses, se trouvaient perdus. L’accusée soutenait son dire. Tout ce qu’on obtenait d’elle cette fois, c’était qu’elle voulait bien se soumettre au pape. Cauchon répondait : « Le pape est trop loin. » Alors il se mit à lire l’acte de condamnation tout dressé d’avance ; il y était dit entre autres choses : « Bien plus, d’un esprit obstiné, vous avez refusé de vous soumettre au Saint-Père et au concile, etc. » Cependant, Loyseleur, Érard, la conjuraient d’avoir pitié d’elle-même ; l’évêque, reprenant

  1. App. 61.