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FOLIE DE CHARLES VI

viduelle est nulle, semble, par cela même, rester plus près de la raison divine. Elle est tout au moins innocente.

Rien d’étonnant, si le peuple, au milieu de tous ces princes orgueilleux, violents et sanguinaires, prenait pour objet de prédilection cette pauvre créature, comme lui humiliée sous la main de Dieu. Dieu pouvait par lui, aussi bien que par un plus sage, guérir les maux du royaume. Il n’avait pas fait grand’chose ; mais visiblement il aimait le peuple. Il aimait ! mot immense. Le peuple le lui rendit bien. Il lui resta toujours fidèle. Dans quelque abaissement qu’il fût, il s’obstina à espérer en lui ; il ne voulait être sauvé que par lui. Rien de plus touchant, et en même temps de plus hardi que les paroles par lesquelles le grand prédicateur populaire, Jean Gerson, bravant à la fois les ambitions rivales des princes qui attendaient la succession du malade, s’adresse à lui, et lui dit : Rex, in sempiternum vive !… Ô mon roi, vivez toujours !…

Cet attachement universel du peuple pour Charles VI parut dans un de ces malheureux essais que l’on fit pour le guérir. Deux sorciers offrirent au bailli de Dijon de découvrir d’où venait sa maladie. Au fond d’une forêt voisine, ils élevèrent un grand cercle de fer sur douze colonnes de fer ; douze chaînes de fer étaient à l’entour. Mais il fallait trouver douze hommes, prêtres, nobles et bourgeois, qui voulussent entrer dans ce cercle formidable et se laisser lier de ces chaînes. On en trouva onze sans peine, et le bailli fut le douzième, qui se dévouèrent ainsi, au risque