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FOLIE DE CHARLES VI

celle ne tombât sur lui. Les autres brûlèrent une demi-heure, et mirent trois jours à mourir[1].

Les princes avaient tout à craindre, si le roi n’eût échappé ; le peuple les aurait mis en pièces. Quand le bruit de cette aventure se répandit dans la ville, ce fut un mouvement général d’indignation et de pitié. Que l’on abandonnât le roi à ces honteuses folies, qu’il eût risqué, innocent et simple qu’il était, d’être enveloppé dans ce terrible châtiment de Dieu, l’honnête bourgeoisie de Paris frémissait d’y penser. Ils se portèrent plus de cinq cents à l’hôtel Saint-Paul. On ne put les calmer qu’en leur montrant leur roi sous son dais royal, où il les remercia et leur dit de bonnes paroles.

Une telle secousse ne pouvait manquer d’amener une rechute. Celle-ci fut violente. Il soutenait qu’il n’était point marié, qu’il n’avait pas d’enfant. Un autre trait de sa folie, et ce n’était pas le plus fol, c’était de ne vouloir plus être lui-même, point Charles, point roi. S’il voyait des lis sur les vitraux ou sur les murs, il s’en moquait, dansait devant, les brisait, les effaçait. « Je m’appelle Georges, disait-il ; mes armes sont un lion percé d’une épée[2]. »

Les femmes seules avaient encore puissance sur lui, sauf la reine, qu’il ne pouvait plus souffrir. Une femme

  1. L’inventeur de la mascarade fut un des brûlés, à la grande joie du peuple. Il avait toujours traité les pauvres gens avec la plus cruelle insolence. Il les battait comme des chiens, les forçait d’aboyer, les foulait aux pieds avec ses éperons. Quand son corps passa dans Paris, plusieurs crièrent après lui son mot ordinaire : « Aboie, chien ! » (Religieux.)
  2. On fut obligé de murer toutes les entrées de l’hôtel Saint-Paul. App. 36.