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FOLIE DE CHARLES VI

pauvres d’ombrage, les chaleurs étouffées des clairières, les mirages éblouissants du sable à midi. C’était aussi dans une forêt, mais combien différente ! que, douze ans auparavant, il avait fait rencontre du cerf merveilleux qui promettait tant de choses. Il était jeune alors, plein d’espoir, le cœur haut, tout dressé aux grandes pensées. Mais combien il avait fallu en rabattre ! Hors du royaume, il avait échoué partout, tout tenté et tout manqué. Dans le royaume même, était-il bien roi ? Voilà que tout le monde, les princes, le clergé, l’Université, attaquaient ses conseillers. On lui faisait le dernier outrage, on lui tuait son connétable et personne ne remuait ; un simple gentilhomme, en pareil cas, aurait eu vingt amis pour lui offrir leur épée. Le roi n’avait pas même ses parents ; ils se laissaient sommer de leur service féodal, et alors ils se faisaient marchander ; il fallait les payer d’avance, leur distribuer des provinces, le Languedoc, le duché d’Orléans. Son frère, ce nouveau duc d’Orléans, c’était un beau jeune prince qui n’avait que trop d’esprit et d’audace, qui caressait tout le monde ; il venait de mettre dans les fleurs de lis la belle couleuvre de Milan[1]… Donc, rien d’ami ni de sûr. Des gens qui n’avaient pas craint d’attaquer son connétable à sa porte, ne se feraient pas grand scrupule de mettre la main sur lui. Il était seul parmi des traîtres… Qu’avait-il fait pourtant pour être ainsi haï de tous, lui qui ne haïssait personne, qui plutôt aimait tout le monde ? Il

  1. Il venait d’épouser la fille du duc de Milan, qui avait une couleuvre dans ses armes.