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HISTOIRE DE FRANCE

savait à merveille, qui vivait en crainte continuelle de Clisson, et ne rêvait que du terrible borgne[1], ne pouvait se consoler d’avoir eu son ennemi entre les mains, de l’avoir tenu et de n’avoir pas eu le courage de le tuer. Or il y avait un homme qui avait intérêt à tuer Clisson, qui avait tout à craindre du connétable et de la maison d’Anjou. C’était un seigneur angevin, Pierre de Craon, qui, ayant volé le trésor du duc d’Anjou, son maître, dans l’expédition de Naples, fut cause qu’il périt sans secours[2]. La veuve ne perdait pas de vue cet homme, et Clisson, allié de la maison d’Anjou, ne rencontrait pas le voleur sans le traiter comme il le méritait.

Les deux peurs, les deux haines s’entendirent. Craon promit au duc de Bretagne de le défaire de Clisson. Il revint secrètement à Paris, rentra de nuit dans la ville ; les portes étaient toujours ouvertes depuis la punition des Maillotins. Il remplit de coupe-jarrets son hôtel du Marché-Saint-Jean. Là, portes et croisées fermées, ils attendirent plusieurs jours. Enfin le 13 juin, jour de la fête du Saint-Sacrement, un grand gala ayant eu lieu à l’hôtel Saint-Paul, joutes, souper et danses après minuit, le connétable revenait presque seul à son hôtel de la rue de Paradis. Ce vaste et silencieux Marais, assez désert même aujourd’hui, l’était bien plus alors ; ce n’étaient que grands hôtels, jardins

  1. Il avait perdu un œil à la bataille d’Auray, en 1364.
  2. Le duc de Berri lui dit un jour : « Méchant traître, c’est toi qui as causé la mort de notre frère. » Et il donna ordre de l’arrêter, mais personne n’obéit. (Religieux.)