Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 4.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
JEUNESSE DE CHARLES VI

de ces heureux hasards qui tournent les plus sages têtes ; il avait à quatorze ans gagné une grande bataille ; il s’était vu salué vainqueur sur un champ couvert de vingt-six mille morts. Chaque année il avait eu les espérances de la guerre ; à chaque printemps sa bannière s’était déployée pour les belles aventures. Et c’était à vingt ans, lorsque le jeune homme avait atteint sa force, lorsqu’il était reconnu pour un cavalier accompli dans tout exercice de guerre, qu’on le condamnait au repos ! Un gouvernement de marmousets lui défendait les hautes espérances, les vastes pensées… Combien fallait-il de tournois pour le dédommager des combats réels, combien de fêtes, de bals, de vives et rapides amours, pour lui faire oublier la vie dramatique de la guerre, ses joies, ses hasards !

Il se jeta en furieux dans les fêtes, fit rude guerre aux finances, prodiguant en jeune homme, donnant en roi. Son bon cœur était une calamité publique. La chambre des Comptes, ne sachant comment résister, notait tristement chaque don du roi de ces mots : « Nimis habuit » ou « Recuperetur ». Les sages conseillers de la chambre avaient encore imaginé d’employer ce qui pouvait rester, après toute dépense, à faire un beau cerf d’or, dans l’espoir que cette figure aimée du roi serait mieux respectée. Mais le cerf fuyait, fondait toujours ; on ne put même jamais l’achever[1].

  1. « Non nisi usque ad colli summitatem peregerunt. » (Religieux.)