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JEUNESSE DE CHARLES VI

et les pousse au hasard à travers les précipices jusqu’à ce qu’ils se rompent le col ?

Quoi qu’il en soit, la faible imagination de l’enfant royal, déjà gâtée par les romans de chevalerie, fut frappée de cette aventure : il vit encore le cerf en songe avant sa victoire de Roosebeke. Dès lors, il plaça sous son écusson le cerf merveilleux, et donna pour support aux armes de France la malencontreuse figure du cornu et fugitif animal.

C’était chose peu rassurante de voir un grand royaume remis, comme un jouet, au caprice d’un enfant. On s’attendait à quelque chose d’étrange ; des signes merveilleux apparaissaient.

Ces signes, qui menaçaient-ils ? le royaume ou les ennemis du royaume ? On pouvait encore en douter. Jamais plus faible roi ; mais jamais la France n’avait été si forte. Pendant tout le treizième, tout le quatorzième siècle, à travers les succès et les désastres, elle avait constamment gagné. Poussée fatalement dans la grandeur, elle croissait victorieuse ; vaincue, elle croissait encore. Après la défaite de Courtrai, elle gagna la Champagne et la Navarre[1] ; après la défaite de Créci, le Dauphiné et Montpellier ; après celle de Poitiers, la Guyenne, les deux Bourgognes, la Flandre. Étrange puissance, qui réussissait toujours malgré ses fautes, par ses fautes.

Non seulement le royaume s’étendait, mais le roi était plus roi. Les seigneurs lui avaient remis leur

  1. Par la mort de la reine Jeanne, femme de Philippe-le-Bel.