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HISTOIRE DE FRANCE

souriantes, grasses[1], dans la sécurité du péché, on doutait si c’étaient des femmes ; on croyait reconnaître, dans sa beauté terrible, la Bête décrite et prédite ; on se souvenait que le Diable était peint fréquemment comme une belle femme cornue[2]… Costumes échangés entre hommes et femmes, livrée du Diable portée par des chrétiens, parements d’autel sur l’épaule des ribauds, tout cela faisait une splendide et royale figure de sabbat.

Un seul costume eût trouvé grâce. Quelques-uns, de discret maintien, de douce et matoise figure, portaient humblement la robe royale, l’ample robe rouge fourrée d’hermine. Quels étaient ces rois ? D’honnêtes bourgeois de la cité, domiciliés dans la rue de la Calandre ou dans la cour de la Sainte-Chapelle. Scribes d’abord du royal parlement des barons, puis siégeant près d’eux comme juges, puis juges des barons eux-mêmes, au nom du roi et sous sa robe. Le roi, laissant cette lourde robe pour un habit plus leste, l’a jetée sur leurs bonnes grosses épaules. Voilà deux déguisements : le roi prend l’habit du peuple, le peuple prend l’habit du roi. Charles VI n’aura pas de plus

  1. L’obésité est un caractère des figures de cette sensuelle époque. Voir les statues de Saint-Denis ; celles du quatorzième siècle sont visiblement des portraits. Voir surtout la statue du duc de Berri dans la chapelle souterraine de Bourges, avec l’ignoble chien gras qui est à ses pieds.
  2. « Les dames et demoiselles menoient grands et excessifs estats, et cornes merveilleuses, hautes et larges ; et avoient de chacun costé, au lieu de bourlées, deux grandes oreilles si larges que quand elles vouloient passer l’huis d’une chambre, il falloit qu’elles se tournassent de costé et baissassent. » (Juvénal des Ursins.) — « Quid de cornibus et caudis loquar ?… Adde quod in effigie cornutæ fœminæ Diabolus plerumque pingitur. » (Clémengis.)