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JEUNESSE DE CHARLES VI

manches flottaient jusqu’à terre. Ici, des hommes-bêtes brodés de toute espèce d’animaux ; là des hommes-musique, historiés de notes[1], qu’on chantait devant ou derrière, tandis que d’autres s’affichaient d’un grimoire de lettres et de caractères qui sans doute ne disaient rien de bon.

Cette foule tourbillonnait dans une espèce d’église ; l’immense salle de bois qu’on avait construite en avait l’aspect. Les arts de Dieu étaient descendus complaisamment aux plaisirs de l’homme. Les ornements les plus mondains avaient pris les formes sacrées. Les sièges des belles dames semblaient de petites cathédrales d’ébène, des châsses d’or. Les voiles précieux que l’on n’eût jadis tirés du trésor de la cathédrale que pour parer le chef de Notre-Dame au jour de l’Assomption voltigeaient sur de jolies têtes mondaines. Dieu, la Vierge et les Saints avaient l’air d’avoir été mis à contribution pour la fête. Mais le Diable fournissait davantage. Les formes sataniques, bestiales, qui grimacent aux gargouilles des églises, des créatures vivantes n’hésitaient pas à s’en affubler. Les femmes portaient des cornes à la tête, les hommes aux pieds ; leurs becs de souliers se tordaient en cornes, en griffes, en queues de scorpion. Elles surtout, elles faisaient trembler ; le sein nu, la tête haute, elles promenaient par-dessus la tête des hommes leur gigantesque hennin, échafaudé de cornes ; il leur fallait se tourner et se baisser aux portes. À les voir ainsi belles,

  1. App. 2.