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HISTOIRE DE FRANCE

politique, je ne lui en veux pas pour cette invention du Jubilé. Des milliers d’hommes l’en ont, j’en suis sûr, remercié du cœur. C’était mettre une pierre sur la route du temps, placer un point d’arrêt dans sa vie, entre les regrets du passé et les espérances d’un meilleur, d’un moins regrettable avenir ; c’était s’arrêter en montant cette rude pente, souffler un peu à midi, Nel mezzo cammin di nostra vita.

Ces âges candides croyaient qu’on pouvait fuir le mal en changeant de lieu, voyager du péché à la sainteté, laisser le diable avec l’habit qu’on dépose pour prendre celui du pèlerin. N’est-ce donc pas quelque chose d’échapper à l’influence des lieux, des habitudes, de se dépayser, de s’orienter à une vie nouvelle ? N’y a-t-il pas une mauvaise puissance d’infatuation et d’aveuglement dans ces lieux où le cœur se prend, que ce soit les Charmettes de Jean-Jacques, ou la Pinada de Byron, ou ce lac d’Aix-la-Chapelle dont, selon la tradition, Charlemagne fut ensorcelé ?

Ne nous étonnons pas si nos aïeux aimèrent tant les pèlerinages, s’ils attribuèrent à la visite des lointains sanctuaires une vertu de régénération. « Le vieillard, tout blanc et chenu, se sépare des lieux où il a fourni sa carrière, et de sa famille alarmée qui se voit privée d’un père chéri. — Vieux, faible et sans haleine, il se traîne comme il peut, s’aidant de bon vouloir, tout rompu qu’il est par les ans, par la fatigue du chemin. — Il vient à Rome pour y voir la semblance de Celui que, là-haut encore, il espère bien revoir au ciel[1]… »

  1. Pétrarque.