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VÊPRES SICILIENNES

réelle. Ils y cherchaient l’effet du drame. Il y fallait de nombreux spectateurs, une occasion solennelle, une grande fête, par exemple ; le théâtre était souvent un temple, le moment celui de l’Élévation[1].

La conjuration dont nous allons parler était bien autre chose que celle des Pazzi, des Olgiati. Il ne s’agissait pas de donner un coup de poignard, et de se faire tuer en tuant un homme, ce qui d’ailleurs ne sert jamais à rien. Il fallait remuer le monde et la Sicile, conspirer et négocier, encourager l’une par l’autre la ligue et l’insurrection ; il fallait soulever un peuple et le contenir, organiser toute une guerre, sans qu’il y parût. Cette entreprise, si difficile, était aussi de toutes la plus juste ; il s’agissait de chasser l’étranger.

La forte tête qui conçut cette grande chose et la mena à bout, une tête froidement ardente, durement opiniâtre et astucieuse, comme on en trouve dans le Midi, ce fut un Calabrois, un médecin[2]. Ce médecin était un seigneur de la cour de Frédéric II. Il était seigneur de l’île de Prochyta, et comme médecin il avait été l’ami, le confident de Frédéric et de Manfred. Pour plaire à ces libres penseurs du treizième siècle, il fallait être médecin, arabe ou juif. On entrait chez eux par l’école de Salerne plutôt que par l’Église. Vraisemblablement, cette école apprenait à ses adeptes quelque

  1. Ce fut en effet ce moment que prirent les Pazzi pour assassiner les Médicis, et Olgiati pour tuer Jean Galeas Sforza.
  2. Procida était tellement distingué comme médecin, qu’un noble napolitain demanda à Charles II d’aller trouver Procida en Sicile pour se faire guérir d’une maladie.