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TABLEAU DE LA FRANCE

Château-Renaud comme à Uzès, aux Ardennes comme en Languedoc. Je vois encore la fileuse qui, pendant son travail, tient sur les genoux le précieux volume de la Bibliothèque bleue, le livre héréditaire, usé, noirci dans la veillée[1].

Ce sombre pays des Ardennes ne se rattache pas naturellement à la Champagne. Il appartient à l’évêché de Metz, au bassin de la Meuse, au vieux royaume d’Ostrasie. Quand vous avez passé les blanches et blafardes campagnes qui s’étendent de Reims à Rethel, la Champagne est finie. Les bois commencent ; avec les bois, les pâturages et les petits moutons des Ardennes. La craie a disparu ; le rouge mat de la tuile fait place au sombre éclat de l’ardoise ; les maisons s’enduisent de limaille de fer. Manufactures d’armes, tanneries, ardoisières, tout cela n’égaye pas le pays. Mais la race est distinguée : quelque chose d’intelligent, de sobre, d’économe ; la figure un peu sèche, et taillée à vives arêtes. Ce caractère de sécheresse et de sévérité n’est point particulier à la petite Genève de Sedan ; il est presque partout le même. Le pays n’est pas riche, et l’ennemi à deux pas ; cela donne à penser. L’habitant est sérieux. L’esprit critique domine. C’est l’ordinaire chez les gens qui sentent qu’ils valent mieux que leur fortune.


Derrière cette rude et héroïque zone de Dauphiné,

  1. Là se lit comment le bon Renaud joua maint tour à Charlemagne, comment il eut pourtant bonne fin, s’étant fait humblement chevalier maçon, et portant sur son dos des blocs énormes pour bâtir la sainte église de Cologne.