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HISTOIRE DE FRANCE

cette décrépitude. Aussi ne croyez pas que ce soit seulement pour Laure que Pétrarque ait tant pleuré à la source de Vaucluse ; l’Italie aussi fut sa Laure, et la Provence, et tout l’antique Midi qui se mourait chaque jour[1].

La Provence, dans son imparfaite destinée, dans sa forme incomplète, me semble un chant des troubadours, un canzone de Pétrarque ; plus d’élan que de portée. La végétation africaine des côtes est bientôt bornée par le vent glacial des Alpes. Le Rhône court à la mer, et n’y arrive pas. Les pâturages font place aux sèches collines, parées tristement de myrte et de lavande, parfumées et stériles.

La poésie de ce destin du Midi semble reposer dans la mélancolie de Vaucluse, dans la tristesse ineffable et sublime de la Sainte-Baume, d’où l’on voit les Alpes et les Cévennes, le Languedoc et la Provence, au delà, la Méditerranée. Et moi aussi, j’y pleurerais comme Pétrarque au moment de quitter ces belles contrées.

  1. Je ne sais lequel est le plus touchant des plaintes du poète sur les destinées de l’Italie, ou de ses regrets lorsqu’il a perdu Laure. Je ne résiste pas au plaisir de citer ce sonnet admirable où le pauvre vieux poète s’avoue enfin qu’il n’a poursuivi qu’une ombre :

    « Je le sens et le respire encore, c’est mon air d’autrefois. Les voilà, les douces collines où naquit la belle lumière, qui, tant que le ciel le permit, remplit mes yeux de joie et de désir, et maintenant les gonfle de pleurs.

    « Ô fragile espoir ! ô folles pensées !… l’herbe est veuve, et troubles sont les ondes. Il est vide et froid, le nid qu’elle occupait, ce nid où j’aurais voulu vivre et mourir !

    « J’espérais, sur ses douces traces, j’espérais de ses beaux yeux qui ont consumé mon cœur, quelque repos après tant de fatigues.

    « Cruelle, ingrate servitude ! j’ai brûlé tant qu’a duré l’objet de mes feux, et aujourd’hui je vais pleurant sa cendre. »

    Sonnet cclxxix.