Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/517

Cette page a été validée par deux contributeurs.
507
ÉCLAIRCISSEMENTS

laissés là depuis longtemps ne demandaient pas mieux que de revenir au jour. Ces papiers ne sont pas des papiers, mais des vies d’hommes, de provinces, de peuples. D’abord, les familles et les fiefs, blasonnés dans leur poussière, réclamaient contre l’oubli. Les provinces se soulevaient, alléguant qu’à tort la centralisation avait cru les anéantir. Les ordonnances de nos rois prétendaient n’avoir pas été effacées par la multitude des lois modernes. Si on eût voulu les écouter tous, comme disait ce fossoyeur au champ de bataille, il n’y en aurait pas eu un de mort. Tous vivaient et parlaient, ils entouraient l’auteur d’une armée à cent langues que faisait taire rudement la grande voie de la République et de l’Empire.

Doucement, messieurs les morts, procédons par ordre, s’il vous plaît. Tous, vous avez droit sur l’histoire. L’individuel est beau comme individuel, le général comme général ; le Fief a raison, la Monarchie davantage, encore plus la République !… La province doit revivre ; l’ancienne diversité de la France sera caractérisée par une forte géographie. Elle doit reparaître, mais à condition de permettre que, la diversité s’effaçant peu à peu, l’identification du pays succède à son tour. Revive la monarchie, revive la France ! Qu’un grand essai de classification serve une fois de fil en ce chaos. Une telle systématisation servira, quoique imparfaite. Dût la tête s’emboîter mal aux épaules, la jambe s’agencer mal à la cuisse, c’est quelque chose de revivre.

Et à mesure que je soufflais sur leur poussière, je les voyais se soulever. Ils tiraient du sépulcre qui la main, qui la tête, comme dans le Jugement dernier de Michel-Ange, ou dans la Danse des morts. Cette danse galvanique qu’ils menaient autour de moi, j’ai essayé de la reproduire en ce livre. Quelques-uns peut-être ne trouveront cela ni beau ni vrai ; ils seront choqués surtout de la dureté des oppositions provinciales que j’ai signalées. Il me suffit de faire observer aux critiques qu’il peut fort bien se faire qu’ils ne reconnaissent point leurs aïeux, que nous avons entre tous les peuples, nous autres Français, ce don que souhaitait un ancien, le don d’oublier. Les chants de Roland et de Renaud, etc., ont certainement été populaires ; les fabliaux leur ont succédé ; et tout cela était déjà si loin au seizième siècle, que Joachim Du Bellay dit en propres termes : « Il n’y a, dans notre vieille littérature, que le Roman de la Rose. » Du temps de Du Bellay, la France a été Rabelais, plus tard Voltaire. Rabelais est maintenant dans le domaine de l’érudition. Voltaire est