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ÉCLAIRCISSEMENTS

chartes pour avoir droit de le consulter, et cette charge de trésorier finit par être réunie à celle de procureur général au Parlement de Paris. M. d’Aguesseau provoqua le bannissement à trente lieues de Paris contre un homme qui était parvenu à se procurer quelques copies de pièces déposées au Trésor des chartes et qui en faisait trafic[1].

La confiscation monarchique avait fait le Trésor des chartes ; la confiscation révolutionnaire a fait nos archives telles que nous les avons aujourd’hui. Au vieux Trésor des chartes, prescrit désormais, sont venus se joindre ses frères, les trésors de Saint-Denis, de Saint-Germain-des-Prés et de tant d’autres monastères. Les vénérables et fragiles papyri, qui portent encore les noms de Childebert, de Clotaire, sont sortis de leur asile ecclésiastique et sont venus comparaître à cette grande revue des morts. Dans cette concentration violente et rapide de tant de titres, beaucoup périrent, beaucoup furent détruits : les parchemins eurent aussi leur tribunal révolutionnaire sous le titre de Bureau du triage des titres. La confiscation révolutionnaire ne s’appuyant pas sur l’autorité des textes, des titres écrits, comme la confiscation monarchique, n’avait que faire de ces parchemins. Son titre unique était le Contrat social, comme le Coran pour celui qui brûla la bibliothèque d’Alexandrie.

Si la Révolution servit peu la science par l’examen et la critique des monuments, elle la servit beaucoup par l’immense concentration qu’elle opéra. Elle secoua vivement toute cette poussière : monastères, châteaux, dépôts de tout genre, elle vida tout, versa tout sur le plancher, réunit tout. Le dépôt du Louvre, par exemple, était comble de papiers, les fenêtres mêmes étaient obstruées, tandis que l’archiviste louait plusieurs pièces à l’Académie. Si l’on voulait faire des recherches, il fallait de la chandelle en plein midi. La Révolution, une fois pour toutes, y porta le jour.

Les Du Puy, les Marca de cette seconde époque (je parle seulement de la science) furent deux députés de la Convention : MM. Camus et Daunou. M. Camus, gallican comme son prédécesseur Du Puy, servit la république avec la même passion que Du Puy la monarchie. M. Daunou, successeur de M. Camus, fut, à proprement parler, le fondateur des Archives, et à cette époque les archives de France devenaient celles du monde. Cette prodi-

  1. Voir les lettres originales de d’Aguesseau, en tête d’une copie de l’inventaire du Trésor des chartes, à la Bibliothèque du Roi, fonds de Clairambault.