Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/511

Cette page a été validée par deux contributeurs.
501
ÉCLAIRCISSEMENTS

de bonne heure, peur du peuple ; elle s’en éloigna, elle fit alliance avec la féodalité, sa vieille ennemie, puis avec la royauté victorieuse de la féodalité. Elle s’associa aux tristes victoires de la royauté sur les communes qu’elle-même avait aidées à leur naissance. La cathédrale de Reims porte au pied d’un de ses clochers l’image des bourgeois du quinzième siècle, punis d’avoir résisté à l’établissement d’un impôt[1]. Cette figure du peuple pilorié est un stigmate pour l’Église elle-même. La voix des suppliciés s’élevait avec les chants. Dieu acceptait-il volontiers un tel hommage ? Je ne sais ; mais il semble que des églises bâties par corvées, élevées des dîmes d’un peuple affamé, toutes blasonnées de l’orgueil des évêques et des seigneurs, toutes remplies de leurs insolents tombeaux, devaient chaque jour moins lui plaire. Sous ces pierres il y avait trop de pleurs.

Le moyen âge ne pouvait suffire au genre humain. Il ne pouvait soutenir sa prétention orgueilleuse d’être le dernier mot du monde, la consommation. Le temple devait s’élargir. L’humanité devait reconnaître le Christ en soi-même. Cette intuition mystique d’un Christ éternel, renouvelé sans cesse dans l’humanité, elle se représente partout au moyen âge, confuse, il est vrai, et obscure, mais chaque jour acquérant un nouveau degré de clarté. Elle y est spontanée et populaire, étrangère, souvent contraire à l’influence ecclésiastique. Le peuple, tout en obéissant au prêtre, distingue fort bien du prêtre le saint, le Christ de Dieu. Il cultive d’âge en âge, il élève, il épure cet idéal dans la réalité historique. Ce Christ de douceur et de patience, il apparaît dans Louis-le-Débonnaire conspué par les évêques ; dans le bon roi Robert, excommunié par le pape ; dans Godefroi de Bouillon, homme de guerre et gibelin, mais qui meurt vierge à Jérusalem, simple baron du Saint-Sépulcre. L’idéal grandit encore dans Thomas de Kenterbury, délaissé de l’Église et mourant pour elle. Il atteint un nouveau degré de pureté en saint Louis, roi prêtre et roi homme. Tout à l’heure l’idéal généralisé va s’étendre dans le peuple ; il va se réaliser au quinzième siècle, non seulement dans l’homme du peuple, mais dans la femme, dans Jeanne-la-Pucelle. Celle-ci, en qui le peuple meurt pour le peuple, sera la dernière figure du Christ au moyen âge.

  1. Ce sont huit figures de taille gigantesque servant de cariatides. L’un des bourgeois tient une bourse d’où il tire de l’argent, un autre porte des marques de flétrissure ; d’autres, percés de coups, présentent des rôles d’impôts lacérés.