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ÉCLAIRCISSEMENTS

science, dont il était dit au commencement du monde : « Vous saurez que vous êtes des dieux, vous deviendrez des dieux. »

Voilà tout le mystère du moyen âge, le secret de ses larmes intarissables, et son génie profond. Larmes précieuses, elles ont coulé en limpides légendes, en merveilleux poèmes, et s’amoncelant vers le ciel, elles se sont cristallisées en gigantesques cathédrales qui voulaient monter au Seigneur !

Assis au bord de ce grand fleuve poétique du moyen âge, j’y distingue deux sources diverses à la couleur de leurs eaux. Le torrent épique, échappé jadis des profondeurs de la nature païenne, pour traverser l’héroïsme grec et romain, roule mêlé et trouble des eaux du monde confondues. A côté coule plus pur le flot chrétien qui jaillit du pied de la croix.

Deux poésies, deux littératures : l’une chevaleresque, guerrière, amoureuse ; celle-ci est de bonne heure aristocratique ; l’autre religieuse et populaire.

La première aussi est populaire à sa naissance. Elle s’ouvre par la guerre contre les infidèles, par Charlemagne et Roland. Qu’il ait existé chez nous, dès lors et même avant, des poèmes d’origine celtique où les dernières luttes de l’Occident contre les Romains et les Allemands aient été célébrées par les noms de Fingal ou d’Arthur, je le crois volontiers. Mais il ne faudrait pas s’exagérer l’importance du principe indigène, de l’élément celtique. Ce qui est propre à la France, c’est d’avoir peu en propre, d’accueillir tout, de s’approprier tout, d’être la France, et d’être le monde. Notre nationalité est bien puissamment attractive, tout y vient bon gré mal gré ; c’est la nationalité la moins exclusivement nationale, la plus humaine. Le fond indigène a été plusieurs fois submergé, fécondé par les alluvions étrangères. Toutes les poésies du monde ont coulé chez nous en ruisseaux, en torrents. Tandis que des collines de Galles et de Bretagne distillaient les traditions celtiques, comme la pluie murmurante dans les chênes verts de mes Ardennes, la cataracte des romans carlovingiens tombait des Pyrénées. Il n’est pas jusqu’aux monts de la Souabe et de l’Alsace qui ne nous aient versé par l’Ostrasie un flot des Niebelungen. La poésie érudite d’Alexandre et de Troie débordait, malgré les Alpes, du vieux monde classique. Et cependant du lointain Orient, ouvert par la croisade, coulaient vers nous, en fables, en contes, en paraboles, les fleuves retrouvés du paradis.

L’Europe se sut Europe en combattant l’Afrique et l’Asie : de là Homère et Hérodote ; de là nos poèmes carlovingiens, avec