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HISTOIRE DE FRANCE

treizième siècle. C’est un curieux dialogue entre le mondain loyal et sincère, et l’âme pieuse et candide, qui s’avance d’un pas dans le doute, puis recule, et s’obstine dans la foi.

Le roi faisait manger à sa table Robert de Sorbon et Joinville : « Quant le roi estoit en joie, si me disoit : Seneschal, or me dites les raisons pourquoy preudomme vaut mieux que beguin (dévot). Lors si encommençoit la noise de moy et de maistre Robert. Quant nous avions grant pièce desputé, si rendoit sa sentence et disoit ainsi : « Maistre Robert, je vourroie avoir le nom de preudomme, mès que je le feusse, et tout le remenant vous demourast : car preudomme est si grant chose et si bonne chose, que ucis au nommer emplist-il la bouche[1]. »

« Il m’appela une foiz et me dit : Je n’ose parler à vous pour le soutil sens dont vous estes, de chose qui touche à Dieu ; et pour ce ai-je appelé ces frères qui ci sont, que je vous weil faire une demande : la demande fut tele : Seneschal, fit-il, quel chose est Dieu, etc…[2]. »

Saint Louis raconte à Joinville, qu’un chevalier assistant à une discussion entre des moines et des juifs, posa une question à un des docteurs juifs, et sur sa réponse, lui donna sur la tête un coup de son bâton qui le renversa. — « Aussi vous di je, fist li roys, que nul, se il n’est très bon clerc, ne doit desputer à eulz ; mès l’omme lay, quant il ot mesdire de la loy crestienne, ne doit pas défendre la loy crestienne, sinon de l’épée, de quoi il doit donner parmi le ventre dedens, tant comme elle y peut entrer[3]. »

Saint Louis disait à Joinville qu’au moment de la mort, le diable s’efforce d’ébranler la foi de l’agonisant : « Et pour ce se doit on garder et en tele manière deffendre de cest agait

  1. Joinville.
  2. Joinville. Il demanda ensuite à Joinville lequel il aimerait mieux d’avoir commis un péché mortel ou d’être lépreux. Joinville répond qu’il aimerait mieux avoir fait trente péchés mortels. — « Et quand les frères s’en furent partis, il m’appela tout seul, et me fit seoir à ses piez, et me dit : « Comment me deistes vous hier ce ? » Et je li dis que encore li disoie-je, et il me dit : « Vous deistes comme hastiz musarz ; car nulle si laide mezelerie n’est comme d’estre en péché mortel, etc. »
  3. Id. « En la doctrine que il lessa au roi Phelipe, son fiuz… il y avoit une clause contenue, qui est tele : « Fai à ton pooir les bougres et les autres mal genz chacier de ton royaume, si que la terre soit de ce bien purgée. » (Le Confesseur.)