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LOUIS IX

de Dieu ; il y avait pourtant dans tout cela bien des morts ; et dans cette magnifique dépouille, une triste odeur de sang. Voilà, sans doute, ce qui fit l’inquiétude et l’indécision de saint Louis. Il avait grand besoin de croire et de s’attacher à l’Église, pour se justifier à lui-même son père et son aïeul, qui avaient accepté de tels dons. Position critique pour une âme timorée ; il ne pouvait restituer sans déshonorer son père et indigner la France. D’autre part, il ne pouvait garder, ce semble, sans consacrer tout ce qui s’était fait, sans accepter tous les excès, toutes les violences de l’Église.

Le seul objet vers lequel une telle âme pouvait se tourner encore, c’était la croisade, la délivrance de Jérusalem. Cette grande puissance, bien ou mal acquise, qui se trouvait dans ses mains, c’était là, sans doute, qu’elle devait s’exercer et s’expier. De ce côté, il y avait tout au moins la chance d’une mort sainte.

Jamais la croisade n’avait été plus nécessaire et plus légitime. Agressive jusque-là, elle allait devenir défensive. On attendait dans tout l’Orient un grand et terrible événement ; c’était comme le bruit des grandes eaux avant le déluge, comme le craquement des digues, comme le premier murmure des cataractes du ciel. Les Mongols s’étaient ébranlés du Nord, et peu à peu descendaient par toute l’Asie. Ces pasteurs, entraînant les nations, chassant devant eux l’humanité avec leurs troupeaux, semblaient décidés à effacer de la terre toute ville, toute construction, toute trace de culture, à refaire du globe un désert, une libre prairie, où l’on