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HISTOIRE DE FRANCE

demandait pour grâce unique de prêcher, de mendier, de n’avoir rien au monde, sauf une pauvre église de Sainte-Marie-des-Anges, dans le petit champ de la Portiuncule, qu’il rebâtit de ce qu’on lui donnait. Cela fait, il partagea le monde à ses compagnons, gardant pour lui l’Égypte, où il espérait le martyre ; mais il eut beau faire, le sultan s’obstina à le renvoyer.

Tels furent les progrès du nouvel ordre, qu’en 1219 saint François réunit cinq mille franciscains en Italie, et il y en avait dans tout le monde. Ces apôtres effrénés de la grâce couraient partout pieds nus, jouant tous les mystères dans leurs sermons, traînant après eux les femmes et les enfants, riant à Noël, pleurant le Vendredi-Saint, développant sans retenue tout ce que le christianisme a d’éléments dramatiques. Le système de la grâce, où l’homme n’est plus rien qu’un jouet de Dieu, le dispense aussi de toute dignité personnelle ; c’est pour lui un acte d’amour de s’abaisser, de s’annuler, de montrer les côtés honteux de sa nature ; il semble exalter Dieu d’autant plus. Le scandale et le cynisme deviennent une jouissance pieuse, une sensualité de dévotion. L’homme immole avec délices sa fierté et sa pudeur à l’objet aimé.

C’était une grande joie pour saint François d’Assise de faire pénitence dans les rues pour avoir rompu le jeûne et mangé un peu de volaille par nécessité. Il se faisait traîner tout nu, frapper de coups de corde, et l’on criait : « Voici le glouton qui s’est gorgé de poulet à votre insu ! » À Noël il se préparait, pour prêcher, une étable, comme celle où naquit le Sauveur. On y