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GUERRE DES ALBIGEOIS

personne n’osait ni la promulguer ni s’y conformer. L’archidiacre Geoffroi s’étant démis de l’échiquier, Jean le fit périr sous une chape de plomb. De crainte d’être abandonné de ses barons, il avait exigé d’eux des otages. Ils n’osèrent pas refuser de communier avec lui. Pour lui, il acceptait hardiment ce rôle d’adversaire de l’Église ; il récompensa un prêtre qui avait prêché au peuple que le roi était le fléau de Dieu, qu’il fallait l’endurer comme le ministre de la colère divine. Cet endurcissement et cette sécurité de Jean faisaient trembler : il semblait s’y complaire. Il mangeait à son aise les biens ecclésiastiques, violait les filles nobles, achetait des soldats, et se moquait de tout. De l’argent, il en prenait tant qu’il voulait aux prêtres, aux villes, aux Juifs ; il enfermait ceux-ci quand ils refusaient de financer, et leur arrachait les dents une à une. Il jouit cinq ans de la colère de Dieu. Le serment de Jean c’était : Par Dieu et ses dents ! Per dentes Dei[1] !… C’était le dernier terme de cet esprit satanique que nous avons remarqué dans les rois d’Angleterre, dans les violences furieuses de Guillaume-le-Roux et du Cœur-de-Lion, dans le meurtre de Becket, dans les guerres parricides de cette famille. Mal ! sois mon bien[2] !

Il n’avait rien à craindre tant que la France et l’Europe étaient tournées tout entières vers la croisade des Albigeois. Mais à mesure que le succès de Montfort fut

  1. Son père jurait : « Par les yeux de Dieu ! »
  2. « Evil, be thou my good. » (Milton.) — Je regrette que Shakespeare n’ait pas osé donner une seconde partie de Jean.