Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/386

Cette page a été validée par deux contributeurs.
376
HISTOIRE DE FRANCE

légat n’aura pas le plus petit des miens, car c’est pour moi qu’ils se trouvent tous en danger. » Cependant il y avait tant d’hommes, de femmes et d’enfants réfugiés de la campagne, qu’il fut impossible de tenir. Ils s’enfuirent par une issue souterraine qui conduisait à trois lieues. Le vicomte demanda un sauf-conduit pour plaider sa cause devant les croisés, et le légat le fit arrêter en trahison. Cinquante prisonniers furent, dit-on, pendus, quatre cents brûlés.

Tout ce sang eût été versé en vain, si quelqu’un ne s’était chargé de perpétuer la croisade, de veiller en armes sur les cadavres et les cendres. Mais qui pouvait accepter cette rude tâche, consentir à hériter des victimes, s’établir dans leurs maisons désertes et vêtir leur chemise sanglante ? Le duc de Bourgogne n’en voulut pas : « Il me semble, dit-il, que nous avons fait bien assez de mal au vicomte, sans lui prendre son héritage. » Les comtes de Nevers et de Saint-Pol en dirent autant. Simon de Montfort accepta, après s’être fait un peu prier. Le vicomte de Béziers, qui était entre ses mains, mourut bientôt, tout à fait à propos pour Montfort[1]. Il ne lui resta plus qu’à se faire confirmer par le pape le don des légats ; il mit sur chaque maison un tribut de trois deniers au profit de l’Église de Rome.

Cependant il n’était pas facile de conserver un bien acquis de cette manière. La foule des croisés s’écoulait ; Montfort avait gagné, c’était à lui de garder, s’il pou-

  1. « … Donc fouc bruyt per tota la terra, que lo dit comte de Montfort l’avia fait morir. » (Chron. Langued.)