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GUERRE DES ALBIGEOIS

sa propre main. Le chapelain de Philippe-Auguste raconte, comme s’il l’eût vu, que Jean prit Arthur dans un bateau, qu’il lui donna lui-même deux coups de poignard, et le jeta dans la rivière, à trois milles du château de Rouen[1]. Les Bretons rapprochaient de leur pays le lieu de la scène ; ils la plaçaient près de Cherbourg, au pied de ces falaises sinistres qui présentent un précipice tout le long de l’Océan. Ainsi allait la tradition grandissant de détail et d’intérêt dramatique. Enfin dans la pièce de Shakespeare, Arthur est un tout jeune enfant sans défense, dont les douces et innocentes paroles désarment le plus farouche assassin.

Cet événement plaçait Philippe-Auguste dans la meilleure position. Il avait déjà nourri contre Richard le bruit de ses liaisons avec les infidèles, avec le Vieux de la Montagne ; il avait pris des gardes pour se préserver de ses émissaires[2]. Il exploita contre Jean le bruit de la mort d’Arthur. Il se porta pour vengeur et pour juge du crime. Il assigna Jean à comparaître devant la cour des hauts barons de France, la cour des pairs, comme on disait alors d’après les romans de Charlemagne. Déjà il l’y avait appelé pour se justifier d’avoir enlevé au comte de la Marche, Isabelle de Lusignan. Jean demanda au moins un sauf-conduit. Il lui fut refusé. Condamné sans être entendu, il leva une armée en Angleterre et en Irlande, employant les dernières violences pour forcer les barons de le suivre,

  1. Guillaume-le-Breton.
  2. Mais il eut peine à persuader. Il suffit, pour détruire l’accusation, d’une fausse lettre du Vieux de la Montagne que Richard fit circuler.