Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/357

Cette page a été validée par deux contributeurs.
347
INNOCENT III

contribuer toute la Syrie pour acheter l’amitié des Vénitiens, et détourner sur Constantinople le danger qui menaçait la Judée et l’Égypte. Nicétas, bien plus instruit que Villehardouin des précédents de la croisade, assure que tout était préparé, et que l’arrivée du jeune Alexis ne fit qu’augmenter une impulsion déjà donnée : « Ce fut, dit-il, un flot sur un flot. »

Les croisés furent, dans la main de Venise, une force aveugle et brutale qu’elle lança contre l’empire byzantin. Ils ignoraient et les motifs des Vénitiens, et leurs intelligences, et l’état de l’empire qu’ils attaquaient. Aussi, quand ils se virent en face de cette prodigieuse Constantinople, qu’ils aperçurent ces palais, ces églises innombrables, qui étincelaient au soleil avec leurs dômes dorés, lorsqu’ils virent ces myriades d’hommes sur les remparts, ils ne purent se défendre de quelque émotion : « Et sachez, dit Villehardouin, que il ne ot si hardi cui le cuer ne frémist… Chacun regardoit ses armes… que par tems en aront mestier. »

La population était grande, il est vrai, mais la ville était désarmée. Il était convenu, entre les Grecs, depuis qu’ils avaient repoussé les Arabes, que Constantinople était imprenable, et cette opinion faisait négliger tous les moyens de la rendre telle. Elle avait seize cent bateaux pêcheurs et seulement vingt vaisseaux. Elle n’en envoya aucun contre la flotte latine ; aucun n’essaya de descendre le courant pour y jeter le feu grégeois. Soixante mille hommes apparurent sur le rivage, magnifiquement armés, mais au premier signe