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INNOCENT III

tantinople[1], et essayé de faire périr à son passage l’empereur Frédéric-Barberousse. Pour faire le trajet par mer, il fallait des vaisseaux ; on s’adressa aux Vénitiens[2]. Ces marchands profitèrent du besoin des croisés, et n’accordèrent pas à moins de quatre-vingt-cinq mille marcs d’argent. De plus, ils voulurent être associés à la croisade, en fournissant cinquante galères. Avec cette petite mise, ils stipulaient la moitié des conquêtes. Le vieux doge Dandolo, octogénaire et presque aveugle, ne voulut remettre à personne la direction d’une entreprise qui pouvait être si profitable à la république et déclara qu’il monterait lui-même sur la flotte[3]. Le marquis de Montferrat, Boniface, brave et pauvre prince, qui avait fait les guerres saintes, et dont le frère Conrad s’était illustré par la défense de Tyr, fut chargé du commandement en chef, et promit d’amener les Piémontais et les Savoyards.

Lorsque les croisés furent rassemblés à Venise, les Vénitiens leur déclarèrent, au milieu des fêtes du départ, qu’ils n’appareilleraient pas avant d’être payés. Chacun se saigna et donna ce qu’il avait emporté ; avec tout cela, il s’en fallait de trente-quatre mille marcs que la somme ne fût complète[4]. Alors l’excellent doge

  1. Un légat fut massacré, et sa tête traînée à la queue d’un chien par les rues de la ville. On passa au fil de l’épée jusqu’aux malades de l’hôpital Saint-Jean. On n’épargna que quatre mille des Latins, qui furent vendus aux Turcs.
  2. Ce fut Villehardouin qui porta la parole.
  3. Villehardouin.
  4. Un grand nombre de croisés avaient craint les difficultés du passage par Venise, et s’étaient allés embarquer à d’autres ports. Ces divisions faillirent plusieurs fois faire avorter toute l’entreprise.