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HISTOIRE DE FRANCE

ensemble, et les ménestrels chrétiens associent leurs voix au son des instruments arabes[1]. Les mineurs des deux partis, qui se rencontrent dans leur travail souterrain, conviennent de ne pas se nuire. Bien plus, chaque parti en vient à se haïr lui-même plus que l’ennemi. Richard est moins ennemi de Saladin que de Philippe-Auguste, et Saladin déteste les Assassins et les Alides plus que les chrétiens[2].

Pendant tout ce grand mouvement du monde, le roi de France faisait ses affaires à petit bruit. L’honneur à Richard, à lui le profit ; il semblait résigné au partage. Richard reste chargé de la cause de la chrétienté, s’amuse aux aventures, aux grands coups d’épée, s’immortalise et s’appauvrit. Philippe, qui est parti en jurant de ne point nuire à son rival, ne perd point de temps ; il passe à Rome pour demander au pape d’être délié de son serment[3]. Il entre en France à temps pour partager la Flandre, à la mort de Philippe d’Alsace ; il

  1. Les croisés furent souvent admis à la table de Saladin, et les émirs à celle de Richard.
  2. Saladin envoya aux rois chrétiens, à leur arrivée, des prunes de Damas et d’autres fruits ; ils lui envoyèrent des bijoux. Philippe et Richard s’accusèrent l’un l’autre de correspondance avec les musulmans. Richard portait à Chypre un manteau parsemé de croissants d’argent. — Richard fit proposer en mariage à Malek-Adhel sa sœur, veuve de Guillaume de Sicile ; sous les auspices de Saladin et de Richard, les deux époux devaient régner ensemble sur les musulmans et les chrétiens, et gouverner le royaume de Jérusalem. Saladin parut accepter cette proposition sans répugnance ; les imans et les docteurs de la loi en furent fort surpris ; les évêques chrétiens menacèrent Jeanne et Richard de l’excommunication. Saladin voulut connaître les statuts de la chevalerie, et Malek-Adhel envoya son fils à Richard, pour que le jeune musulman fût fait chevalier dans l’assemblée des barons chrétiens.
  3. Le pape refusa.