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INNOCENT III

elle, c’est la femme qui a restauré le génie allemand. Le mysticisme s’est réveillé par les béguines d’Allemagne et des Pays-Bas[1]. Les chevaliers, les nobles minnesingers chantaient la femme réelle, la gracieuse épouse du landgrave de Thuringe, tant célébrée aux combats poétiques de la Wartbourg. Le peuple adorait la femme idéale ; il fallait un Dieu-femme à cette douce Allemagne. Chez ce peuple, le symbole du mystère est la rose ; simplicité et profondeur, rêveuse enfance d’un peuple à qui il est donné de ne pas vieillir, parce qu’il vit dans l’infini, dans l’éternel.

Ce génie mystique devait s’éteindre, ce semble, en descendant l’Escaut et le Rhin, en tombant dans la sensualité flamande et l’industrialisme des Pays-Bas. Mais l’industrie elle-même avait créé là un monde d’hommes misérables et sevrés de la nature, que le besoin de chaque jour renfermait dans les ténèbres d’un atelier humide ; laborieux et pauvres, méritants et déshérités, n’ayant pas même en ce monde cette place au soleil que le bon Dieu semble promettre à tous ses enfants, ils apprenaient par ouï-dire ce que c’était que la verdure des campagnes, le chant des oiseaux et le parfum des fleurs ; race de prisonniers, moines de l’industrie, célibataires par pauvreté, ou plus malheureux encore par le mariage, et souffrant des souffrances de leurs enfants. Ces pauvres gens,

  1. Math. Paris : « In Alemannia mulierum continentium, quæ se Beguinas volunt appellari, multitudo surrexit innumerabilis, adeo ut solam Coloniam mille vel plures inhabitarent. » — Behgin, du saxon beggen, dans Ulphilas bedgan (en allem. beten), prier.