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TABLEAU DE LA FRANCE

de bruyères roses et de diverses plantes jaunes ; ailleurs, ce sont des campagnes blanches de sarrasin. Cette neige d’été, ces couleurs sans éclat et comme flétries d’avance, affligent l’œil plus qu’elles ne le récréent, comme cette couronne de paille et de fleurs dont se pare la folle d’Hamlet. En avançant vers Carnac, c’est encore pis. Véritables plaines de roc où quelques moutons noirs paissent le caillou. Au milieu de tant de pierres, dont plusieurs sont dressées d’elles-mêmes, les alignements de Carnac n’inspirent aucun étonnement. Il en reste quelques centaines debout ; la plus haute a quatorze pieds.

Le Morbihan est sombre d’aspect et de souvenirs ; pays de vieilles haines, de pèlerinages et de guerre civile, terre de caillou et race de granit. Là, tout dure ; le temps y passe plus lentement. Les prêtres y sont très forts. C’est pourtant une grave erreur de croire que ces populations de l’Ouest, bretonnes et vendéennes, soient profondément religieuses : dans plusieurs cantons de l’Ouest, le saint qui n’exauce pas les prières risque d’être vigoureusement fouetté[1]. En Bretagne, comme en Irlande, le catholicisme est cher aux hommes comme symbole de la nationalité. La religion y a surtout une influence politique. Un prêtre irlandais qui se fait ami des Anglais est bientôt chassé du pays. Nulle église, au moyen âge, ne resta plus longtemps indépendante de Rome que celle d’Irlande et de Bretagne. La dernière essaya longtemps de se

  1. Dans la Cornouaille. — Il leur est arrivé de même dans les guerres des chouans de battre leurs chefs, et de leur obéir un moment après.