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HISTOIRE DE FRANCE

voulu d’autre gloire que celle de son époux. A l’époque de leur séparation, elle prit le voile, et lui bâtit le Paraclet, dont elle devint abbesse. Elle y tint une grande école de théologie, de grec et d’hébreu. Plusieurs monastères semblables s’élevèrent autour, et quelques années après la mort d’Abailard Héloïse fut déclarée chef d’ordre par le pape. Mais sa gloire est dans son amour si constant et si désintéressé.

La froideur d’Abailard fait un étrange contraste avec l’exaltation des sentiments exprimés par Héloïse : « Dieu le sait ! en toi je ne cherchai que toi ! rien de toi, mais toi-même, tel fut l’unique objet de mon désir. Je n’ambitionnai nul avantage, pas même le lien de l’hyménée ; je ne songeai, tu ne l’ignores pas, à satisfaire ni mes volontés, ni mes voluptés, mais les tiennes. Si le nom d’épouse est plus saint, je trouvais plus doux celui de ta maîtresse, celui (ne te fâche point) de ta concubine (concubinæ vel scorti). Plus je m’humiliais pour toi, plus j’espérais gagner dans ton cœur. Oui ! quand le maître du monde, quand l’empereur eût voulu m’honorer du nom de son épouse, j’aurais mieux aimé être appelée ta maîtresse que sa femme et son impératrice (tua dici meretrix, quam illius imperatrix). » Elle explique d’une manière singulière pourquoi elle refusa longtemps d’être la femme d’Abailard : « N’eût-ce pas été chose messéante et déplorable, que celui que la nature avait créé pour tous, une femme se l’appropriât et le prît pour elle seule… Quel esprit tendu aux méditations de la philosophie ou des choses sacrées, endurerait les cris des enfants, les bavardages des