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HISTOIRE DE FRANCE

France de choisir, et choisit Innocent[1]. L’Angleterre et l’Italie résistaient : l’abbé de Clairvaux dit un mot au roi d’Angleterre ; puis, prenant le pape par la main, il le mena par toutes les villes d’Italie, qui le reçurent à genoux. On s’étouffait pour toucher le saint, on s’arrachait un fil de sa robe ; toute sa route était tracée par des miracles.

Mais ce n’étaient pas là ses plus grandes affaires ; ses lettres nous l’apprennent. Il se prêtait au monde, et ne s’y donnait pas : son amour et son trésor étaient ailleurs. Il écrivait dix lignes au roi d’Angleterre, et dix pages à un pauvre moine. Homme de vie intérieure, d’oraison et de sacrifice, personne, au milieu du bruit, ne sut mieux s’isoler. Les sens ne lui disaient plus rien du monde. Il marcha, dit son biographe, tout un jour le long du lac de Lausanne, et le soir demanda où était le lac. Il buvait de l’huile pour de l’eau, prenait du sang cru pour du beurre. Il vomissait presque tout aliment. C’est de la Bible qu’il se nourrissait, et il se désaltérait de l’Évangile. A peine pouvait-il se tenir debout, et il trouva des forces pour prêcher la croisade à cent mille hommes. C’était un esprit plutôt qu’un homme qu’on croyait voir, quand il paraissait ainsi devant la foule, avec sa barbe rousse et blanche, ses blonds et blancs cheveux ; maigre et faible, à peine un peu de vie aux joues[2]. Ses prédications étaient terri-

  1. Voy. sur cette affaire les lettres de saint Bernard aux villes d’Italie (à Gènes, à Pise, à Milan, etc.), à l’impératrice, au roi d’Angleterre et à l’empereur.
  2. Gaufridus : « Subtilissima cutis in genis modice rubens. »