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HISTOIRE DE FRANCE

la voix du peuple, qui est celle de Dieu, a donné la gloire de la croisade à Godefroi[1], fils du comte de Boulogne, margrave d’Anvers, duc de Bouillon et de Lothier, roi de Jérusalem. La famille de Godefroi, issue, dit-on, de Charlemagne, était déjà signalée par de grandes aventures et de grands malheurs. Son père, Eustache de Boulogne, beau-frère d’Édouard-le-Confesseur, avait manqué l’Angleterre, où les Saxons l’appelaient contre Guillaume-le-Conquérant. Son grand-père maternel, Godefroi-le-Barbu, ou le Hardi, duc de Lothier et de Brabant, qui échoua de même en Lorraine, combattit trente ans les empereurs à la tête de toute la Belgique, et brûla, dans Aix-la-Chapelle, le palais des Carlovingiens. Il fut plusieurs fois chassé, banni, captif ; sa femme, Béatrix d’Este, mère de la fameuse comtesse Mathilde, fut indignement retenue prisonnière par Henri III, qui finit par lui ravir son patrimoine, et donner la Lorraine à la maison d’Alsace. Toutefois, quand l’empereur Henri IV fut persécuté par les papes, et que tant de gens l’abandonnaient, le petit-fils du proscrit, le Godefroi de la croisade, ne manqua pas à son suzerain. L’empereur lui confia l’étendard de l’Empire, cet étendard que la famille de Godefroi avait fait chanceler, et contre lequel Mathilde soutenait celui de l’Église. Mais Godefroi le raffermit : du fer de ce drapeau il tua l’anti-César, Rodolphe, le roi des prêtres (1080), et le porta ensuite, son victorieux drapeau, sur les murs de Rome, où il monta le

  1. Né à Bezi près Nivelle, dans un château qu’on montrait encore à la fin du dernier siècle.