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LA CROISADE

étoffes, les vêtements rouges furent mis en pièces, et n’y suffirent pas[1].

Ce fut alors un spectacle extraordinaire, et comme un renversement du monde. On vit les hommes prendre subitement en dégoût tout ce qu’ils avaient aimé. Leurs riches châteaux, leurs épouses, leurs enfants : ils avaient hâte de tout laisser là. Il n’était besoin de prédications ; ils se prêchaient les uns les autres, dit le contemporain, et de parole et d’exemple. « C’était, continue-t-il, l’accomplissement du mot de Salomon : Les sauterelles n’ont point de rois, et elles s’en vont ensemble par bandes. Elles n’avaient pas pris l’essor des bonnes œuvres, ces sauterelles tant qu’elles restaient engourdies et glacées dans leur iniquité. Mais dès qu’elles se furent échauffées aux rayons du soleil de justice, elles s’élancèrent et prirent leur vol. Elles n’eurent point de roi ; toute âme fidèle prit Dieu seul pour guide, pour chef, pour camarade de guerre… Bien que la prédication ne se fût fait entendre qu’aux Français, quel peuple chrétien ne fournit aussi des soldats ?… Vous auriez vu les Écossais, couverts d’un manteau hérissé, accourir du fond de leurs marais… Je prends Dieu à témoin qu’il débarqua dans nos ports des barbares de je ne sais quelle nation ; personne ne comprenait leur langue : eux, plaçant leurs doigts en forme de croix, ils faisaient signe qu’ils voulaient aller à la défense de la foi chrétienne.

« Il y avait des gens qui n’avaient d’abord nulle

  1. Il y en eut qui s’imprimèrent la croix avec un fer rouge (Albéric des Trois-Fontaines).