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HISTOIRE DE FRANCE

patrie divine n’était point au torrent de Cédron, ni dans l’aride vallée de Josaphat. Ils regardèrent plus haut alors, et attendirent dans un espoir mélancolique une autre Jérusalem. Les Arabes s’étonnaient en voyant Godefroi de Bouillon assis par terre. Le vainqueur leur dit tristement : « La terre n’est-elle pas bonne pour nous servir de siège, quand nous allons rentrer pour si longtemps dans son sein[1] ? » Ils se retirèrent pleins d’admiration. L’Occident et l’Orient s’étaient entendus.

Il fallait pourtant que la croisade s’accomplît. Ce vaste et multiple monde du moyen âge, qui contenait en soi tous les éléments des mondes antérieurs, grec, romain et barbare, devait aussi reproduire toutes les luttes du genre humain. Il fallait qu’il représentât sous la forme chrétienne, et dans des proportions colossales, l’invasion de l’Asie par les Grecs et la conquête de la Grèce par les Romains, en même temps que la colonne grecque et l’arc romain seraient reliés et soulevés au ciel dans les gigantesques piliers, dans les arceaux aériens de nos cathédrales.

Il y avait déjà longtemps que l’ébranlement avait commencé. Depuis l’an 1000 surtout, depuis que l’humanité croyait avoir chance de vivre et espérait un peu, une foule de pèlerins prenaient leur bâton et s’acheminaient, les uns à Saint-Jacques, les autres au mont Cassin, aux Saints-Apôtres de Rome, et de là à Jérusalem. Les pieds y portaient d’eux-mêmes. C’était

  1. Guillaume de Tyr.