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LA CROISADE

dont la secrète pensée semble avoir été la ruine de toute religion. Cette corporation avait, comme la loge du Caire, ses savants, ses missionnaires ; Alamut était plein de livres et d’instruments de mathématiques. Les arts y étaient cultivés ; les sectaires pénétraient partout sous mille déguisements, comme médecins, astrologues, orfèvres, etc. Mais l’art qu’ils exerçaient le plus, c’était l’assassinat. Ces hommes terribles se présentaient un à un pour poignarder un sultan, un calife, et se succédaient sans peur, sans découragement, à mesure qu’on les taillait en pièces[1]. On assure que, pour leur inspirer ce courage furieux, le chef les fascinait par des breuvages enivrants, les portait endormis dans des lieux de délices, et leur persuadait ensuite qu’ils avaient goûté les prémices du paradis promis aux hommes dévoués[2]. Sans doute à ces moyens se joignit le vieil héroïsme montagnard, qui a fait de cette contrée le berceau des vieux libérateurs de la Perse, et celui des modernes Wahabites. Comme à Sparte, les mères se vantaient de leurs fils morts, et ne pleuraient que les vivants. Le chef des Assassins prenait pour titre celui de scheick de la Montagne ; c’était de même celui des chefs indigènes qui avaient leurs forts sur l’autre versant de la même chaîne.

Cet Hassan, qui pendant trente-cinq ans ne sortit

  1. Pour assassiner un sultan, il en vint, un à un, jusqu’à cent vingt-quatre.
  2. Henri, comte de Champagne, étant venu rendre visite au grand prieur des Assassins, celui-ci le fit monter avec lui sur une tour élevée, garnie à chaque créneau de deux fedavis (dévoués) ; il fit un signe, et deux de ces sentinelles se précipitèrent du haut de la tour. « Si vous le désirez, dit-il au comte, tous ces hommes vont en faire autant. »