Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/153

Cette page a été validée par deux contributeurs.
143
ONZIÈME SIÈCLE

Tibre, jusqu’à la Provence. Chaque passe des fleuves, chaque poste dominant avait sa tour ; à chaque défilé, on voyait descendre de la montagne quelque homme d’armes avec ses varlets et ses dogues, qui demandait péage ou bataille ; il visitait le petit bagage du voyageur, prenait part, quelquefois prenait tout, et l’homme par-dessus. Il n’y avait pas beaucoup à gaaigner en voyageant ainsi. Nos Normands s’y prenaient mieux. Ils se mettaient plusieurs ensemble, bien montés, bien armés, mais de plus affublés en pèlerins de bourdons et coquilles ; ils prenaient même volontiers quelque moine avec eux. Alors, qui eût voulu les arrêter, ils auraient répondu doucement, avec leur accent traînant et nasillard, qu’ils étaient de pauvres pèlerins, qu’ils s’en allaient au mont Cassin, au Saint-Sépulcre, à Saint-Jacques-de-Compostelle ; on respectait d’ordinaire une dévotion si bien armée. Le fait est qu’ils aimaient ces lointains pèlerinages : il n’y avait pas d’autre moyen d’échapper à l’ennui du manoir. Et puis, c’étaient des routes fréquentées ; il y avait de bons coups à faire sur le chemin, et l’absolution au bout du voyage. Tout au moins, comme ces pèlerinages étaient aussi des foires, on pouvait faire un peu de commerce, et gagner plus de cent pour cent en faisant son salut[1]. Le meilleur négoce était celui des reliques : on rapportait une dent de saint George, un cheveu de la Vierge. On trouvait à s’en défaire à grand profit ; il y avait toujours quelque évêque qui voulait achalander

  1. Baronius.