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HISTOIRE DE FRANCE

telle, indifférente, impitoyable, elle ne connaît point la nature ni l’humanité. L’aîné possédera seul ; que dis-je ? c’est lui qui est possédé : les usages de sa terre le dominent, ce fier baron ; sa terre le gouverne, lui impose ses devoirs ; selon la forte expression du moyen âge, il faut qu’il serve son fief.

Le fils aura tout, le fils aîné. La fille n’a rien à demander ; n’est-elle pas dotée du petit chapeau de roses et du baiser de sa mère[1] ? Les puînés, oh ! leur héritage est vaste ! Ils n’ont pas moins que toutes les grandes routes, et par-dessus, toute la voûte du ciel. Leur lit, c’est le seuil de la maison paternelle ; ils pourront de là, les soirs d’hiver, grelottants et affamés, voir leur aîné seul au foyer où ils s’assirent eux aussi dans le bon temps de leur enfance, et peut-être leur fera-t-il jeter quelques morceaux, nonobstant le grognement de ses chiens. Doucement, mes dogues, ce sont mes frères ; il faut bien qu’ils aient quelque chose aussi.

Je conseille aux puînés de se tenir contents, et de ne pas risquer de s’établir sous un autre seigneur : de pauvres, ils pourraient bien devenir serfs. Au bout d’un an de séjour, ils lui appartiendraient corps et biens. Bonne aubaine pour lui ; ils deviendraient ses aubains ; autant presque vaudrait dire ses serfs, ses juifs. Tout malheureux qui cherche asile, tout vaisseau qui brise au rivage, appartient au seigneur ; il a l’aubaine et le bris.

  1. Par exemple dans les anciennes Coutumes de Normandie.