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ONZIÈME SIÈCLE

de Souabe, cette race de poètes et de parfaits chevaliers, avaient-ils si grand tort de prétendre à l’empire du monde ? Leurs ennemis les admiraient en les combattant. On les reconnaissait partout à leur beauté. Ceux qui cherchaient Enzio, le fils fugitif de Frédéric II, le découvrirent sur la vue d’une boucle de ses cheveux. Ah ! disaient-ils, il n’y a dans le monde que le roi Enzio qui ait de si beaux cheveux blonds[1]. Ces beaux cheveux blonds, et ces poésies, et ce grand courage, tout cela ne servit de rien. Le frère de saint Louis n’en fit pas moins couper la tête au pauvre jeune Conradin, et la maison de France succéda à la prépondérance des empereurs.

L’empereur doit périr, l’Empire doit périr, et le monde féodal, dont il est le centre et la haute expression. Il y a en ce monde-là quelque chose qui le condamne et le voue à la ruine ; c’est son matérialisme profond. L’homme s’est attaché à la terre, il a pris racine dans le rocher où s’élève sa tour. Nulle terre sans seigneur, nul seigneur sans terre. L’homme appartient à un lieu ; il est jugé selon qu’on peut dire qu’il est de haut ou de bas lieu. Le voilà localisé, immobile, fixé sous la masse de son pesant château, de sa pesante armure.

La terre, c’est l’homme ; à elle appartient la véritable personnalité. Comme personne, elle est indivisible ; elle doit rester une et passer à l’aîné. Personne immor-

  1. Une jeune fille vint le consoler dans sa prison ; ils eurent un fils qui s’appela Bentivoglio (je te veux du bien). C’est, selon la tradition, la tige de l’illustre famille de ce nom.