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HISTOIRE DE FRANCE

d’Allemagne qui va le donner, ou bien serait-il ajourné à la fin du monde, à la consommation des temps ?

Ils disent que leur grand empereur Frédéric-Barberousse n’est pas mort ; il dort seulement. C’est dans un vieux château désert, sur une montagne. Un berger l’y a vu, ayant pénétré à travers les ronces et les broussailles ; il était dans son armure de fer, accoudé sur une table de pierre, et sans doute il y avait longtemps, car sa barbe avait crû autour de la table et l’avait embrassée neuf fois. L’empereur, soulevant à peine sa tête appesantie, dit seulement au berger : Les corbeaux volent-ils encore autour de la montagne ? — Oui, encore. — Ah ! bon, je puis me rendormir.

Qu’il dorme, ce n’est ni à lui, ni aux rois, ni aux empereurs, ni au Saint-Empire du moyen âge, ni à la Sainte-Alliance des temps modernes qu’il appartient de réaliser l’idéal du genre humain : la paix sous la loi, la réconciliation définitive des nations.

Sans doute, c’était un noble monde que ce monde féodal qui s’endort avec la maison de Souabe ; on ne peut le traverser, même après la Grèce et Rome, sans lui jeter un regard et un regret. Il y avait là des compagnons bien fidèles, bien loyalement dévoués à leur seigneur et à la dame de leur seigneur ; joyeux à sa table et à son foyer, tout aussi joyeux quand il fallait passer avec lui les défilés des Alpes, ou le suivre à Jérusalem et jusqu’au désert de la mer Morte ; de pieuses et candides âmes d’hommes sous la cuirasse d’acier. Et ces magnanimes empereurs de la maison